b4f850097a8dc8d7bfac97d0cd7b42b4.jpg
masque-article.png

Surfers brain 17/06/2022

Surfer une autre temporalité

Il est difficile de voir encore dans le surfeur moderne la figure de l'aristocrate hawaïen, vouant un culte à l'océan et à ses créatures. Frénétique consommateur d'açaï bowls, de vélos électriques à gros pneus, de Jeep 4x4, de boat trips et de surf camps sur des îles privées, la figure du surfeur rebelle, aventurier et antisocial semble elle aussi s'éloigner un peu plus chaque jour. C'est bien normal après tout car le surfeur n'est pas différent des autres hommes, en s'inscrivant dans son époque, il surfe le fil de l'histoire.

La société marchande trouve dans le surf un vivier extraordinaire, elle se nourrit de ses multiples facettes : le retour à la nature, les seventies, les voyages, l'hédonisme, le goût du risque, la beauté du corps. Et si l'on se dépouille de tout ce décorum mercantile, il n'en reste pas moins que le surf en tant que discipline sportive engage tout surfeur accompli dans une voie qui le détourne des conventions sociales et en particulier du temps tel qu'il est perçu et vécu dans les pays développés.

Car il s'agit d'un sport de nature. Pour s'accomplir, il doit se conformer au rythme de la nature, qui n'est pas le temps des horaires de bureau, le temps de la semaine de 5 jours, le temps du repos dominical,  le temps de l'école ou le temps des célébrations religieuses. Il y a là une forme de panthéisme, de respect suprême des cycles lunaires et de multiples paramètres atmosphériques subtils.

Il en va de même du pêcheur capbretonnais quittant le port à la marée haute car il sait qu'au plein bas, la passe devient dangereuse ; ou de l'agriculteur qui suit le calendrier lunaire des plantations et les variations de la météo. A l'identique, il existe des moments propices au surf et d'autres néfastes, et ces moments varient constamment.

Il n'existe pas d'horaire fixe pour le surf, à la différence d'autres sports qui n'ont pas un milieu naturel instable comme terrain de jeu, l'océan étant la personnification du chaos. Or, pour trouver de l'ordre dans le désordre, il faut se plier aux règles de l'océan et de ses vagues sur le rivage. Il faut accepter l'imprévu, le variable, l'absence de programme préétabli.

 

L'abolition du temps social

 

Nous quittons notre lieu de travail le temps des vacances, avec des désirs d'aventure et d'imprévu mais notre conditionnement est tel qu'il nous est parfois difficile de nous défaire de la PROGRAMMATION minutée de notre quotidien. Le temps des congés, propice au repos et au lâcher-prise, doit être rentabilisé, rationalisé, à tel point que la rencontre avec l'océan ne peut parfois pas avoir lieu.

Il en va ainsi de toutes les activités liées à l'océan : la topographie de la plage fait que la baignade devient dangereuse à certaines heures de la marée tandis qu'à un autre moment de la journée, les conditions seront douces et clémentes sur le même morceau de plage. Or, la marée, commandée par les cycles lunaires, décale chaque jour de 40 à 50 minutes ; de même que son amplitude varie chaque jour et chaque semaine.

Mais d'autres paramètres vont permettre de se baigner ou de surfeur en toute sécurité, la taille de la houle, son intensité, la force et la direction du vent, la présence éventuelle d'un orage annoncé, toutes conditions qu'il est impossible de prévoir longtemps en avance. Il existe multitude d'outils permettant de prévoir la houle et sa qualité une semaine en avance mais à l'image du journal météo, à plus de 3 jours, on est loin de l'exactitude absolue.

Ainsi, l'horaire fixe pour pratiquer le surf est une hérésie, cela est un non sens et peut même s'avérer dangereux. Parfois, à la Ki Surf School, un/e inconnu/e m'appelle pour réserver un cours de surf tel jour à telle heure, à la minute près. Ce n'est pas possible, j'explique pourquoi mais il m'arrive de perdre un client. Tant pis, je n'envoie pas des pizzas, je vend une expérience à des individus aux sensibilités variées et cela doit se faire dans les conditions les plus propices possibles. L'océan est un milieu potentiellement dangereux si l'on ne se plie pas à ses règles, qui s'inscrivent dans un temps qui est celui de la nature.

Le surfeur n'est-il pas un peu animiste qui se conforme aux commandements d'une force qui lui est supérieure, émanant des éléments conjugués du vent, de la houle, de la terre et de la mer. Cette forme d'abandon est à l'opposé du temps social qui doit être productif et qui jette son discrédit sur le prétendu oisif. Ainsi, la méditation serait une perte de temps quant au contraire elle permet de se recentrer sur soi-même et d'échapper au brouhaha, à l'agitation inepte du monde. Il en va de même du surf qui oblige au lâcher prise, en suivant les variations des éléments ; toute l'expérience se trouve contenue dans cet abandon.

 

L'ennemi du surfeur

 

Le repas dominical 

 

Ainsi, le surfeur est souvent incompris. On excuse le père de famille qui tous les weekends est sur les routes du département pour aller disputer son match de rugby, mais on crie à l'hérésie lorsque le surfeur refuse une invitation à manger parce que les vagues sont belles.

Les conditions de surf parfaites sont rares, les rater pour aller manger des saucisses grillées tout un après-midi en buvant du rosé est inconcevable pour tout surfeur qui se respecte. Mais la société de valide pas cette excuse de la variabilité du milieu naturel, le temps social doit toujours primer sur le temps naturel. 

 

Je peux pas, j'ai piscine

 

Autant la belle vague ne se présente pas tous les jours, autant décaler une séance de natation ou de tennis ne prêtera pas à grandes conséquences, l'eau de la piscine sera toujours aussi plane et chlorée, le terrain de tennis aura conservé la même apparence. Par contre, à l'océan, aux vagues parfaites auront parfois succédé de grosses vagues déformées par le vent, pour prendre un exemple parlant.

 

L'annulation du cours pré-réservé

 

Annuler un cours de surf au dernier moment, sauf à être malade ou en difficulté, est également assez mal perçu. D'une part, réserver un cours de surf présuppose de respecter ses engagements. 

Mais plus important, au delà de la perte financière pour l'école de surf, l'élève qui annule sa séance au dernier moment, empêche un autre individu qui n'avait pu intégrer le groupe, parce qu'il était complet, de profiter d'une expérience au combien enrichissante. L'excuse du repas, de la séance de poney ou de la fatigue n'est pas recevable. Priver un autre surfeur de son plaisir relève de la pure folie, ce dernier vous en voudra jusqu'à la fin de ses jours, tant l'ivresse de la glisse est addictive. 

 

Le surfeur en voyage

 

Le surfeur immergé dans d'autres cultures découvre que certains peuples ne suivent pas le temps de la montre. A la pleine lune, les saltwater people des îles Salomon restent à discuter dehors toute la nuit.

Tout projet peut être remis à demain. Le pêcheur, s'il est fatigué, se repose, il sortira en mer une prochaine fois. Car le temps social est surtout le temps de l'argent. Le cobaye doit courir constamment pour faire tourner la roue du système. On lui raconte des fables pour qu'il déteste non pas le maître qui l'enchaîne à la machine mais plutôt la multitude qui n'a guère plus de richesses que lui mais semble en faire un peu moins : ainsi dans le même panier, les fonctionnaires (parce qu'ils ont des avantages sociaux), les rmistes (parce qu'ils ne travaillent pas), les immigrés, les travailleurs saisonniers (parce qu'ils touchent parfois des avantages sociaux pendant leur période chômée) et les surfeurs en voyage (parce qu'ils ne sont pas sensés arrêter de travailler). 

Le surfeur qui part en voyage s'adonner à sa passion est parfois l'ennemi dans sa propre famille. Là encore, le temps social et familial rendent indécent le fait de prendre plus de 2 semaines de vacances. 

Aussi, le surf est plus qu'un sport puisqu'il propose de se dépouiller de toutes ces fables sociales afin de se consacrer à la poursuite de son épanouissement personnel. Qui n'empêche pas d'adorer son travail, sa famille et ses enfants. 

D'ailleurs le télétravail se démocratise et permet d'aménager son temps en fonction du rythme de la nature, qui englobe dans un même tout son bio-rythme et son tempérament inscrits dans un environnement naturel. Éloignez un surfeur de l'océan, il dépérira.

Les articles similaires

Surfers brain 17/06/2022

Le slow surf

Surfers brain 18/06/2022

Jours Barbares, une vie de surf

Surfers brain 19/06/2022

Lexique surf : le bocal

Surfers brain 23/06/2022

Instagrasme

Surfers brain 16/07/2022

Mr Sunset

Surfers brain 18/07/2022

Surfer, be your own champion

Surfers brain 16/10/2023

Syndrome du boyfriend

Surfers brain 26/10/2023

Les surfeurs sont-ils écolos ?