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Surfers brain 17/06/2022

Le slow surf

Alors qu'il devient de plus en plus ardu de surfer en petit comité, avec le sentiment apaisant d'être seul dans la vastitude de l'océan, prêchons ici pour un slow surf, une pratique qui ne vise pas à l'accroissement exponentiel de la rentabilité mais plutôt à un usage raisonné d'une ressource qui est en réalité limitée, la vague.

En effet, on se rend bien compte qu'il n'y a souvent pas suffisamment de vagues pour le nombre de surfeurs présents sur un spot à un moment donné. Il serait alors logique d'aller surfer seul ou avec un ou deux amis plutôt que d'arriver par groupes de cinq ou six individus. 

Il pourrait sembler raisonnable de prendre le temps de savourer ses vagues plutôt que de vouloir toutes les attraper puisqu'elles sont en nombre insuffisant par rapport au nombre de surfeurs en présence. 

On se demande aussi quel est l'intérêt de faire la compétition avec des individus qui seront déjà simplement heureux d'attraper une vague. 

L'océan nous offre la possibilité de nous extraire d'un quotidien stressant qui nous pousse à l'hyperactivité, à la rentabilité, à la surconsommation, est-ce que la nature n'est pas justement là pour nous offrir un répit ? 

C'est sans compter avec la technologie, meilleur ami de l'homme puisqu'elle lui permet de tout faire plus vite, plus efficacement, en plus grande quantité, sans attendre. Comme s'il se hâtait vers son inéluctable fin, telle la poule insatiable, grattant frénétiquement le sol à la recherche d'une pitance qui la laissera toujours sur sa faim.

 

Les fléaux du surf à travers les âges

 

Identifions les inventions technologiques qui, en facilitant l'accès au surf, ont augmenté le nombre de surfeurs à l'eau au point de rendre de plus en plus difficile ce qui autrefois était la norme : une session de surf avec un nombre réduit d'individus sur un même spot.

Années 1950-60 : essor de l'industrie automobile, le spot de Malibu devient en l'espace d'une trentaine d'années le symbole mondial de la surpopulation à l'eau. Des images d'archive nous montrent des surfeurs qui partent à 10 sur la même vague, slaloment avec adresse ou se télescopent gaiement. 

1971 : première compétition de surf sur le spot de Pipeline à Hawaï. Avec le cinéma en couleur, les images font le tour du monde. En mettant sur le devant de la scène internationale, via des photos dans les magasines de surf et des vidéos, ce spot mythique, les surfeurs locaux voient arriver des hordes de surfeurs et décident de créer le club des Black Shorts afin de résister à cette pression. Depuis lors, chaque fois qu'une de ces compétitions a lieu en quelque pays que ce soit, c'en est fini pour les locaux de la tranquillité. Ce qui devient un essor économique pour les uns, se transforme en cauchemar pour les autres.

Années 1990 : apparition de la première webcam à Lacanau Océan. Les surfeurs voient les vagues en temps réel et peuvent spontanément sauter dans leur voiture pour se rendre sur le spot le plus proche. Plus besoin de consulter le surf report, encore moins de savoir lire une carte météo.

Fin des années 1990 : démocratisation du téléphone portable. On appelle ses copains depuis la plage, en quelques minutes, les spots se remplissent de monde.

Années 2010 : essor des réseaux sociaux, les gens mettent en scène leur vie, en temps réel, et des milliers de personnes peuvent découvrir en quelques clics une vague jadis préservée, dès lors photographiée, nommée, géolocalisée, à seules fins de satisfaire l'égo d'un individu. 

2014 : premier distributeur de fatbike, vélos à gros pneus électriques, à Hossegor. 

En l'espace de quelques années, une boulimie de gros pneus s'empare de la population et tout le monde, du plus petit au plus grand, s'équipe d'un de ces vélos de style californien. 

Dès lors, même dans les espaces naturels protégés interdits aux véhicules à moteur, il devient presque impossible de surfer seul car les gros pneus sillonnent les plages sur de longues distances. Parfois, ce sont jusqu'à 10 gros pneus qui se garent sur la plage en face d'une vague. Le pari de la technologie comme outil pour accéder à des vagues vierges est un échec. 

Les surfeurs dotés de jambes observent le va-et-vient des vélos sur la plage, en se demandant quelle sera la prochaine "surfing plague".

 

Les vertus du slow surf

 

Prendre du temps pour soi, s'échauffer en observant les éléments, marcher sur la plage en quête d'un spot tranquille, surfer pour son plaisir plutôt que pour la photo qui, publiée sur instagram, étincellera dans le regard de parfaits inconnus, savourer l'instant présent, s'asseoir et regarder cette nature qui nous entoure, c'est ce que j'appelle le slow surf.

Par opposition avec la frénésie générée par les séances de surf coaching : sous prétexte qu'un coach les filme depuis le bord, de jeunes aspirants à la compétition se jettent sur tout ce qui bouge, sans faire grand cas des autres surfeurs venus là certes surfer, mais certainement pas faire la guerre pour attraper une vague, et qui se retrouvent comme des sardines au milieu d'un banc de thons assoiffés de sang. 

Par opposition avec le gars qui repère les spots de surf avec un drone, s'y rend en fatbike, qu'il a préalablement chargé dans sa voiture pour se garer au plus près de la plage, et qui une fois rentré à la maison consulte sa montre intelligente qui possède une application lui permettant de connaître le nombre de vagues qu'il a pu attraper et de les additionner pour avoir une distance de surf et pouvoir dire à ses potes, "j'ai pris 150 vagues, cumulées entre elles, c'est comme si j'avais pris une vague de 1km de long à Chicama au Pérou". 

Il existe aussi des dérives équipées d'un moteur pour se passer de l'effort de la rame, de même qu'un boitier qui émet un signal pour aider le novice à se lever au bon moment, béquilles technologiques qui ne lui apprennent pas l'essentiel, c'est à dire à développer son sens marin, mais qui donnent l'illusion de pouvoir tout faire facilement, sans effort, comme dans un jeu vidéo.

Il est devenu tendance de parler de slow food, de pratiquer des activités de bien-être, la méditation mais l'homosapienus est tellement survitaminé qu'il a du mal à ralentir, à savourer l'instant présent, à se détendre, à respecter ses semblables. 

Il en va de même du surf business. Alors qu'il y a déjà trop d'écoles de surf au mois d'août, sur de nombreuses plages, le modèle économique de certains semble être l'expansion à l'infini, occasionnant une saturation croissante des spots de surf. N'est-ce pas être aveuglé par son intérêt particulier que d'ignorer cela ?

L'école Ki Surf School adhère au regroupement d'écoles de surf, Eco-Safe Surfing, consciente de cette nécessité d'avoir un usage raisonné d'une ressource vague qui n'est pas infinie. En restant petite, l'école parvient à proposer des cours de qualité sur des spots peu fréquentés, même en plein mois d'août, malgré l'augmentation constante du nombre de pratiquants.

 

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